mercredi 8 octobre 2014

Interview Black Milk


Entretien avec Black Milk
(22 Novembre 2013)



   Lorsque nous avons appris que Black Milk allait se produire à Colmar, on ne pouvait tout simplement pas passer à coté de l'évènement. On retrouve le rappeur de Detroit le 22 Novembre 2013, un peu plus d'un mois après la sortie de son dernier album, juste avant son concert. Black Milk parait froid au premier abord, mais va se lâcher au fur et à mesure d'un entretien sensé durer une quinzaine de minutes, et qui sera au final trois fois plus long ...
  

Topless : Tout d’abord félicitation pour ton album « No Poison No Paradise », on a vraiment aimé et on le retrouvera sûrement dans nos Awards de fin d’année …(en fin de compte on l'a bien élu album de l'année 2013)

Black Milk : Oh merci les mecs, je me sens déjà bien là (rires) … la réception du public vis à vis de cet album a été encore meilleure que ce que je pouvais espérer. Je me doutais que les gens l’apprécieraient, mais pas à ce point.

Topless : D’où vient le titre de l’album ?

Black Milk : En fait c’est une sorte d’album concept où l’on suit un personnage qui décrit différents aspects de sa vie tout au long du projet : les hauts et les bas, l'environnement dans lequel il a grandi, son adolescence, mais aussi sa vie d’adulte, tout cela contenu dans un grand rêve qui forme l’album.
J’ai utilisé ce titre « No Poison No Paradise » comme un jeu de mot, un autre moyen pour discerner le bien et le mal, l’ombre et la lumière, tous les aléas de la vie que nous connaissons.

Topless : Tu en parles d’ailleurs beaucoup dans la première chanson de l’album, « Interpret Sabotage », l’introduction du projet, qui est une sorte de résumé des évènements à suivre dans l’album. Sur le deuxième morceau, l’excellent « Deion’s House », tu collabores une nouvelle fois avec Will Sessions (un live band de Detroit qu’on pouvait déjà retrouver sur son album précédent, également présent sur le très ambitieux « Elmatic » d’Elzhi), quelle est l’histoire de ce titre ?

Black Milk : C’est une des dernières chansons que j’ai enregistré pour l’album. C’est marrant parce qu’en fait il y avait ce sample que je comptais retravailler, et je me suis rendu compte que Will Sessions l’avait joué devant moi il y a à peu près un an. Je les ai donc contacté pour qu’ils m’envoient leur instru et en l’écoutant je me suis dit qu’il valait mieux utiliser leur version plutôt que de galérer avec le sample.

Topless : Autre élément intéressant de ce projet, la pochette, avec ce coté psychédélique qui rappelle Funkadelic, comment t’est venue cette idée ?

Black Milk : Le design de la pochette est toujours une chose à laquelle j’attache de l’importance, surtout en tant que collectionneur. J’adore fouiller chez les disquaires et tomber sur des disques des années 60/70, avec ces pochettes fantaisistes. Bien sûr la musique reste primordiale, mais je suis quelqu’un de très pointilleux, je fais attention à tous les détails, que ce soit la musique, le mixage, la pochette, le marketing … Donc quand j’ai su quel chemin j’allais prendre avec cet album, j’ai tout de suite pensé à cette imagerie que pouvait avoir Funkadelic.
J’ai contacté June Bug, un talentueux dessinateur de Dallas, et je lui ai expliqué dans quelle direction je voulais aller pour cette pochette, quel style je recherchais : j’ai évoqué des pochettes de George Clinton, notamment celle de « Hardcore Jollies ». Il s’est inspiré de ça tout en y mettant sa touche personnelle et le résultat s’est avéré génial !

"No Poison No Paradise", 6ème album de Black Milk, sorti le 15 octobre 2013

Topless : Concernant Dallas, tu vis là bas à présent. C’est la première fois que tu enregistres un album hors de ta ville natale de Detroit, est-ce que cet éloignement a affecté ta perception de cette ville ?

Black Milk : D’une certaine façon oui. Après je dois avouer que je suis pas le genre de personne qui sort beaucoup, la plupart du temps je suis chez moi, dans mon « labo » en train de travailler. A ce stade de ma carrière, l’environnement dans lequel je me trouve n’affecte pas tant que ça ma musique, ou alors très peu. Je peux allez n’importe où dans le monde, tant que mon matos, mes disques et ma créativité sont au rendez vous je me sens comme un poisson dans l’eau. Mais c’est vrai que toute mon inspiration vient de Detroit, je suis né et j’ai grandi là bas, quoi que je fasse Detroit fait partie de moi.
Pour autant je pense que le fait d’enregistrer à Dallas a été bénéfique pour moi, ça fait aussi du bien de respirer un autre air. Le seul facteur gênant était l'absence des collaborateurs avec lesquels je travaille d’habitude, que ce soit les musiciens, les rappeurs ou les ingénieurs son. Pour ce projet j’étais vraiment tout seul en studio avec ma MPC et mes disques, je me suis occupé de tout : l’écriture, la production, le mix, le mastering … Mais j’aime le résultat final, j’ai vraiment apprécié de pouvoir réaliser un album plus épuré que le précèdent, qui était assez bruyant et plus dispersé.

Topless : Qu’est ce qui a changé dans ta manière d’écrire pour cet album ? On a trouvé qu’il y avait une vrai différence avec ton travail passé.

Black Milk : Tout d’abord, il faut savoir qu’en règle générale je commence toujours avec la production, je me concentre sur les beats et ne m’intéresse à l’écriture qu’après. J’avais l’impression après avoir enregistré les premières instrus que la musique parlait d’elle même, qu’elle se suffisait à elle même, ce qui m’a pas mal intrigué. Les deux premières tracks que j’ai finalisé étaient "Sunday’s Best" et "Monday’s Worst". Une histoire commençait à se créer, il y avait une connection entre les morceaux, et naturellement j’ai senti qu’il fallait que je m’appuie là dessus pour ce projet. Ça n’aurait pas eu de sens si j’avais laissé ce coté « storytelling » au milieu de l’album, entouré de couplets qui n’auraient eu aucun rapport.
L’autre raison c’est le fait de vieillir. Je peux maintenant commencer à regarder dans le rétro et contempler les différentes expériences que j’ai traversé, dans la musique mais aussi dans la vie en général. Forcément avec le temps j’ai plus de choses à raconter.



Topless : C’est ce qu’on a aimé justement : un peu à l’instar de Good Kid Maad City de Kendrick, la production est en parfaite osmose avec les paroles, et même quand il n’y pas de lyrics comme sur « Sonny Junior (dreams) » avec Robert Glasper et Dwele, l’atmosphère est tout de suite identifiable. Comment s’est passé cette collaboration d’ailleurs ?

Black Milk : J’avais bossé avec Glasper dans le passé, sur un remix de Black Radio, et ça m’a donné envie de renouveler l’expérience. Quand le moment est venu, il fallait que je me décide sur la place qu’il occuperait sur l’album. J’ai pour habitude de placer des morceaux exclusivement instrumentaux sur mes projets et j’ai pensé qu’il collerait bien avec cette track, où je voulais exprimer en musique le rêve de Sonny Jr. J’ai donc envoyé les percussions à Glasper, il m’a envoyé différentes lignes de piano et Dwele s’est occupé des cuivres. Le résultat est magique.

Topless : Quelle est ta relation avec Black Thought ? On a été assez surpris de le retrouver sur cet album.

Black Milk : Oui je savais que ça allait surprendre des gens !

Topless : Positivement ! On est plus habitués à des mecs comme Elzhi, Royce Da 5'9 ...

Black Milk : Les gens s’attendent toujours à ce que je bosse avec des gars de Detroit, et ça ne me dérange pas, mais pour cet album je voulais pas avoir trop de guests, et surtout bosser avec des artistes avec lesquels je n’étais pas familier. Je suis un gros fan de Black Thought, comme la plupart des gens. C’est un rappeur fantastique... Et puis je trouvais qu’il se fondait bien dans ce type de son conceptuel que j’essayais de faire. Du coup je lui ai envoyé le morceau "Codes & Cab Fare" avec mon couplet et il a aimé. Par contre il m’a prévenu, la prochaine fois il veut faire un morceau plus hardcore à la « Loosin Out » ou « Deadly Medley » (rires).

Topless : D’après toi qu’est ce qui différencie les MCs de Detroit à ceux de villes plus grandes comme New York ou Los Angeles ?

Black Milk : Je pense que tout le monde a les pieds sur terre à Detroit. Il n’y a pas autant de distractions qu’à L.A ou New York, là bas c’est plutôt facile d’avoir la tête ailleurs. A Detroit on a pas ce problème, tout ce qu’on peut faire c’est bosser, rester dans une pièce toute la journée et continuer à s’améliorer. Quand t’écoutes un mec de Detroit tu ressens ce feeling particulier, cette attitude, cette mentalité d’ « underdog » propre à cette ville, et ça motive tout le monde à se dépasser et se donner à 100%.

Topless : En parlant de Detroit, les artistes locaux sont très actifs en 2013, notamment depuis Septembre, avec les albums de Clear Soul Forces, Big Sean, Guilty Simpson, Eminem … C’est pas nouveau que Detroit soit de plus en plus représenté, mais t’as pas le sentiment que cette année ce constat est encore plus flagrant ?

Black Milk : Oui c’est clair, les fans de hip hop ont toujours soutenu les gars de Detroit, mais c’est vrai que cette année c’est spécial, comme tu l’as dit tous ces artistes ont sorti leurs albums dans le même laps de temps, sauf que c’était pas vraiment prévu ! Danny Brown a sorti son album en octobre, Boldy James aussi … Le même jour que moi en fait (rires). C’était la folie … Donc oui on peut dire que les projecteurs étaient braqués sur Detroit, mais je vais vous dire, je pense que c’est une tendance qui va continuer dans les prochaines années. On a aussi beaucoup d’autres gars qui sont pour l’instant dans l’ombre, comme Quelle Chris qui est sur mon album et Denmark Vesay, qui vont certainement exploser dans un futur proche.

Topless : Pourquoi n'as-tu plus collaboré avec Danny Brown depuis l'EP « Black & Brown » de 2011 ?

Black Milk : Danny a passé beaucoup de temps sur les routes pour sa tournée depuis. Mais ce n'est que partie remise, on travaillera de nouveau ensemble à l'avenir. Comme d'ailleurs avec Royce Da 5'9" et Elzhi, c'est juste une question d'emploi du temps.






 Topless : Qu'est-ce que tu as pensé du deuxième « Marshall Mathers LP » sorti récemment ? 

Black Milk : « Marshall Mathers LP 2 », c'est vraiment le retour du Eminem que les gens aiment. Ce mec a un tel niveau technique quand il rappe… Il est tellement habile techniquement ! Je suis certain que les gens ne captent même pas à quel point. C'est différent quand toi-même tu rappes, tu comprends mieux certaines choses, et dans le milieu il est très respecté.
Eminem a vraiment gardé cette forme de passion, cette envie de constamment repousser ses limites lyricales… Ce type est vraiment dans une autre dimension.

Topless : En dehors d'Eminem, quel est ton rappeur préféré de Detroit en ce moment ?

Black Milk : Je ne les connais vraiment pas tous ! Faudrait que je me prenne le temps de tous les découvrir… Mais à choisir, je dirais Quelle Chris. On se connaît depuis 2005, il est d'ailleurs en featuring sur mon album, et c'est vraiment le rappeur que j'apprécie le plus de Detroit, et avec lequel j'ai vraiment envie de bosser à nouveau à l'avenir.

Topless : Ces derniers mois on a pu assisté à l'éclosion ou à la confirmation d'une nouvelle génération de rappeurs, comme Joey Bada$$, Action Bronson ou encore Chance The Rapper ; qu'est-ce que tu penses d'eux ? Est-ce qu'on peut s'attendre à d'éventuelles collaborations dans le futur ?

Black Milk : J'espère que ça se fera ! Surtout avec ceux de New-York. En tout cas je les apprécie énormément. Ce sont vraiment d'excellents MCs, surtout en live.

Topless : Est-ce que tu considères que c'est un avantage d'être rappeur et producteur sur son propre album ?

Black Milk : Carrément, oui. Il y a une vraie différence entre les albums des rappeurs / producteurs et des MCs tout court. Le problème, c'est que la plupart des MCs cherchent à avoir un maximum de producteurs différents sur leurs albums. Très peu de rappeurs comprennent l'avantage de n'avoir qu'un seul producteur, qui va donner une cohérence à votre projet.
Au-delà de ça, les MCs qui sont aussi producteurs ont une bien meilleure compréhension des mélodies, ou des refrains par exemple. Il y a vraiment une cohésion dans la musique de Kanye West, de Pete Rock, d'Havoc ou encore de Big Krit.

Topless : Tu vas monter sur scène avec un live band ce soir. D'où t'est venue cette envie d'avoir des musiciens pour t'accompagner durant vos concerts ?

Black Milk : Je fais mes tournées avec un live band depuis mon album Tronic, donc depuis 2008. D'ailleurs depuis cette époque j'utilise aussi beaucoup plus souvent des instruments pour mes sessions en studio. Disons que le fait d'avoir des musiciens sur scène permet d'exploiter les morceaux différemment, d'offrir une expérience inédite au public. Après c'est certain que ça ne marche pas pour tout le monde. Tout dépend de ton approche de la musique, de ton niveau de musicalité.

Topless : Pour finir, quelles sont tes influences musicales ?

Black Milk : Rien de vraiment récent… La plupart des albums que j'écoute sont sortis dans les années 60, 70, voir même dans les années 80. Des artistes comme George Clinton, Prince, ou encore de l'électro-pop avec des groupes comme Kraftwerk.